Tournée Route d’Artistes

CRÉDIT PHOTO: FANY ROUSSE

             Inspirée – entre autres – par le concept de Chant’appart en France, Fany Rousse a entamé en 2014 le développement d’un réseau similaire, un peu partout au Québec : la Route d’Artistes. La mission consiste à faire découvrir des artistes méconnus, en formule minimaliste, en permettant aux citoyens de les accueillir directement chez eux pour un spectacle intime. Que ce soit dans les maisons, les appartements, les gîtes, les auberges, ou dans les petits commerces (cafés, disquaires, bistros, studios de photo, etc.), Route d’Artistes permet une rencontre directe entre le spectateur et l’artiste. Jérémi Roy (contrebassiste) et moi, revenons justement d’une petite tournée en Abitibi, qui s’est poursuivie dans les Laurentides, pour ensuite aboutir à Montréal. C’est en plateau double avec Michel Robichaud qu’on s’est promenés de maison en gîte. Mon plus gros défi: tenter de garder mes yeux ouverts en jouant. Parce que le fait de voir les visages de tout le monde dans un décor restreint, des visages qu’on ne connaît pas, ou même ceux que l’on connaît, c’est extrêmement intimidant. C’est une façon pour moi d’apprendre à assumer ce que je fais. Ne pas me laisser avaler par la timidité. Et assumer, ça peut se faire les yeux ouverts, ou fermés. Ils sont là, ceux pour qui on fait de la musique. Ceux qui osent, qui s’attardent, qui essaient. Et ça me fait réfléchir, et ça me fait travailler, parce que ça éveille en moi l’essentiel. Le « pourquoi » je veux faire de la musique. Le pouvoir que ça a, cet univers du son qui est non palpable et qui crée des liens. Ça me rassoit dans l’instant présent. C’est comme si tous les jours, en rencontrant de nouvelles personnes d’un peu partout, on ajuste sa perception du Québec. Parce qu’on le rencontre directement dans ses maisons, et on a le temps d’échanger. Ça aide à relativiser, à démystifier, à garder les yeux et le coeur ouverts.

La Route d’Artistes démontre qu’il y a un grand intérêt de la part de ce qu’on appelle « le public », à découvrir des artistes qu’ils ne connaissent pas, et à les faire connaître à leurs proches. C’est l’essence même du bouche à oreille. On tombe toujours sur des gens allumés, des bons vivants, qui ressentent non seulement l’envie de vivre une expérience, mais qui sans le savoir prennent soin de notre culture, et de leur communauté. Je souhaite que l’industrie fasse de même. Que les festivals continuent de pousser un peu partout, mais qu’ils ne bougent pas en « suiveux ». Que les concours proposent et donnent leurs coups de main, en arrêtant de suivre les « buzz », et en s’attardant plutôt sur ce qui les fait vibrer. Qu’ils représentent une plateforme où les artistes se donnent au lieu de quêter. Que les artistes prennent leur place, qu’on accorde de la valeur à ce qu’on fait, tout en ne perdant pas ce désir essentiel de créer des liens. Qu’on arrête de s’excuser. Que l’on mette nos limites là où c’est nécessaire de le faire. Que les salles de spectacle fassent preuve de créativité pour aller toucher leur communauté, et que les citoyens/spectateurs frileux se réchauffent avec le risque. Qu’on ait le réflexe, quand on voit apparaître le nom d’un ou d’une artiste inconnu(e), ou d’un band inconnu, de s’informer à leur sujet. De leur donner une chance, comme on le fait dans un restaurant quand on lit le menu. Parce que l’idée de payer dans le « vide » pour un spectacle qui ne nous plaît pas, c’est illusoire. Le vide est dans l’abandon du « risque », mot dont la culture devrait être synonyme. Ça prend de l’amour pour labourer les scènes du Québec. Ça prend des contextes favorables à la découverte et à l’ouverture, une mise en scène pour faire naître la curiosité. En ce moment je ne sens plus ce risque de la part de l’industrie avec un grand « I », et je sens que les artistes ressentent un malaise. Il y a tellement de créateurs ici, c’est vraiment une richesse enterrée au Québec, parce qu’on ne les met pas en valeur. Les arts visuels, la danse, la musique instrumentale… On dirait que, pour faire un parallèle un peu étrange avec Duplessis – on disait de lui qu’il représentait un couvercle sur le Québec, et que quand il allait mourir, la marmite exploserait – il y a comme un couvercle sur le top de la culture québécoise. Mais plus on étouffe, plus le cri est fort, plus il fait son chemin vers la surface. Et je sens une mouvance vers le lâcher prise, une sorte de mort aveugle à l’intérieur du « carré » de l’industrie. Ce carré dans lequel il faut se courber pour survivre. Ce carré duquel il faut sortir pour enfin respirer.

C’est pourquoi on sort de la boîte pour tenter autre chose: l’indépendance. La démarche de Fany Rousse, tout comme ceux et celles qui y répondent avec enthousiasme, remet un pouvoir d’écoute, un pouvoir de choisir, un pouvoir critique, entre les mains des spectateurs. C’est un début, où il y aura toutes sortes d’ajustements et de défis au fil de son développement. Peut-être qu’éventuellement, ce qui prônera dans les salons québécois, ce sera un spectacle réel, sans spotlight mais plein de lumière, une expérience qu’ils n’oublieront pas aussi vite que les participants de « La Voix ».